La direction de la Maison des Écrivains et de la Littérature devant les prud'hommes
Le dossier Maison des écrivains et de la littérature ne s'est pas encore refermé. Cette institution littéraire, présente dans le paysage parisien depuis 1986, était installée dans le 16e arrondissement de Paris jusqu'en juin dernier. L'association a été placée en liquidation judiciaire, après le tarissement progressif de ses financements publics.
ActuaLitté a enquêté, dès 2022, sur la situation de la « Mél », qui multipliait déjà les appels à soutien et les tribunes dénonçant la baisse continue de ses subventions publiques. D'autres alertes méritaient toutefois d'être entendues, puisqu'à l'intérieur de la structure, des voix signalaient la « souffrance des équipes et des arrêts de travail récurrents ».
Un audit devait même être mené par la Direction régionale des affaires culturelles de l'Île-de-France, pour étudier le « modèle économique de l’association, porté par une gouvernance qui la met régulièrement en risque de cessation de paiement et fragilise une équipe de chargés de mission reconnus pour leur professionnalisme ». La Drac IdF nous assurait que cet audit n'avait jamais été réalisé, quand la direction de la Mél avançait le contraire.
En 2023, la gestion de la Maison des Écrivains et de la Littérature est à nouveau mise en cause, quand sa vice-présidente, Malika Wagner, démissionne, considérant qu’elle ne peut travailler dans de telles conditions. « Je constate une opacité dans la gouvernance qui rend impossible son fonctionnement démocratique puisque la direction verrouille les informations essentielles, notamment budgétaires, qui sont nécessaires au respect du statut de la vice-présidence », indiquait-elle dans son courrier de départ. Son signalement avait relancé les interrogations quant à la situation au sein de l'institution.
Des faits de « discrimination » et de « harcèlement »
Ce lundi 29 septembre, une audience du conseil de prud'hommes de Paris évoquera la situation au sein de la Maison des Écrivains et de la Littérature, a appris ActuaLitté. Chargée de l'administration et de projets pour l’institution, Nelly George-Picot « a saisi le conseil de prud’hommes en mars 2024 des faits de discrimination et de harcèlement qu’elle estime avoir subi, du fait de son rôle de représentante du personnel et de son appartenance à un syndicat, par le président de la Mél, M. Jean-Yves Masson [président entre 2018 et 2023, NdR], et sa directrice, Mme Sylvie Gouttebaron [directrice de 2004 à 2025, NdR] », nous indique son avocat, Me Paul Beaussillon.
Les faits remonteraient « au moment de la mise en place d’un CSE, en septembre 2021 », précise-t-il. « Cette création n’a pas été acceptée par le président de la Mél, car elle s’accompagnait d’un certain nombre de questions sur l’avenir de l’association. Elle a ensuite été, dans l’exercice de ses fonctions, isolée et privée d’autonomie, ainsi qu’entravée dans l’exercice de son mandat. »
« Un premier arrêt maladie a été déclaré en fin d’année 2021, avant une reprise, puis un nouvel arrêt. Tous deux étaient exclusivement liés à sa situation professionnelle », ajoute encore l'avocat de Nelly George-Picot.
Le syndicat SUD Culture, qui « estime que les faits examinés par le conseil de prud'hommes ont porté préjudice aux professions qu’il représente », s'est constitué intervenant volontaire dans cette procédure. « Dans cette affaire, le syndicat considère que les faits relèvent de la discrimination syndicale : Mme Nelly George-Picot a été attaquée parce qu’elle a été élue et parce qu’elle a posé des questions à la direction, dans le cadre de son mandat », souligne Me Lucie Marius, conseil du syndicat SUD Culture.
Une demande de résiliation judiciaire
Le conseil de prud'hommes de Paris a été saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Nelly George-Picot, qui « a été déclarée inapte en juin 2024, mais l’Inspection du travail avait refusé son licenciement après avoir relevé des faits de discrimination en raison de son rôle de représentante du personnel », explique Me Beaussillon. « Je tiens à souligner qu’une autorité compétente a donc déjà constaté ces faits de discrimination et de harcèlement par une décision particulièrement motivée qui n’a pas fait l’objet de recours », ajoute-t-il.
« Selon elle, Mme George Picot a fait office de paratonnerre, puisque la direction n’était pas prête à avoir un dialogue avec représentant du personnel qui exerce ses prérogatives, c’est-à-dire quelqu’un qui demande des informations sur la vie de l’association pour en faire part à ses collègues et les défendre », rapporte l'avocat. « Il y a bien d’autres collègues qui ont ressenti une forme de harcèlement, mais celui dont Mme George Picot a fait l’objet se distinguait par le lien avec l’exercice de ses mandats.
Le syndicat SUD Culture, pour sa part, suivait la situation au sein de la Mél « de très près », dès 2021, rappelle Me Lucie Marius : « Il est tout à fait légitime que le syndicat soutienne la salariée, et qu’il demande cette double condamnation afin que soit réparé le préjudice de Mme George-Picot, mais également le sien, au titre du préjudice porté à la profession. »
L'organisation syndicale s'était interrogée, dans nos colonnes, sur l'attitude du ministère de la Culture vis-à-vis de la Mél. En effet, en 2022, la rue de Valois avait dépêché deux inspecteurs des affaires culturelles sur place, lesquels avaient interrogé des salariés de la structure, mais aussi la directrice et le président. Malgré ces auditions, leur rapport ne sera jamais publié par le ministère de la Culture.
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« Le syndicat n’a jamais obtenu de réponses à la plupart des demandes adressées aux financeurs de la Mél. Le syndicat estime que cette maison a été délaissée et que la gestion a été abandonnée à une direction qui travaillait dans une opacité totale », déplore le syndicat SUD Culture par la voix de Me Lucie Marius. « Personne n’a souhaité venir au secours des salariés. Il est assez surprenant de constater à quel point la Maison a été abandonnée par le ministère, alors que la recherche d’autres sources de subventions ne fonctionnait pas. »
Nous avons tenté de joindre Jean-Yves Masson et Sylvie Gouttebaron, sans succès pour le moment
Mise à jour 30/09 :
Le cas de la Maison des Écrivains et de la Littérature a été renvoyé à l’audience du 12 février 2026 à 13 heures, pour mise en cause des organes de la liquidation.
Enquête "On est pris en étau": des agents d'accueil sous-traitants portent plainte contre le Muséum national d'histoire naturelle et Radio France
Près d’un an après les révélations de «Libé» ciblant le Louvre ou le Mucem, deux nouveaux établissements publics sont mis en cause pour les mêmes soupçons d’infractions : «prêt illicite de main-d’œuvre» et «marchandage». Les plaignants dénoncent le recours abusif de ces institutions à des prestataires externalisés.
Le 17 octobre 2024, Libération révélait l’existence d’une série de plaintes visant le Louvre, le Palais de la porte Dorée, la Bourse de Commerce et le Mucem, à Marseille. Portées par des agents de musées préposés à l’accueil des publics, elles dénonçaient ce qui s’apparente à du salariat déguisé, via un recours abusif à des prestataires externes.
Ce choix de la sous-traitance a connu un coup d’accélérateur avec la révision générale des politiques publiques, mise en place par la droite en 2007, entraînant la limitation du remplacement des fonctionnaires. Depuis, une centrale d'achat publique (Ugap) est chargée de proposer un catalogue de prestations clés en main en matière de surveillance, d'accueil, de médiation et d'animation à destination des établissements culturels. Des entreprises qui jusque-là fournissaient des hôtes d'accueil pour les salons professionnels ont investi le secteur : parmi eux, Musea, dont le chiffre d'affaire a bondi, passant de 4,79 millions en 2021 à 8,15 millions en 2023, ou Marianne International, qui affiche les quasis 13 millions de chiffre d’affaires
Mardi 16 septembre, deux nouvelles plaintes visant deux établissements publics, le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et Radio France, ainsi que leur prestataires attitrés, Musea et Marianne international, ont été déposées au parquet de Paris par le syndicat Sud culture Solidaires, au nom des salariés qu’il représente. Parallèlement l’inspection du travail a été saisie.
«Conditions de grande précarité»
Elles portent les mêmes chefs d’accusation qu’à l’automne 2024 : «prêt illicite de main-d’œuvre» et «marchandage». Le recours abusif à la sous-traitance serait en fait un «leurre», comme il est écrit dans l’une des plaintes que Libération a pu consulter. Et de faire valoir, exemples à l’appui, que les agents «prêtés» répondent aux mêmes ordres que leurs homologues qui sont, eux, salariés de l’établissement – mais sans bénéficier des mêmes avantages - qu'ils n'apportent pas de compétences spécifiques qui justifieraient le prêt de main-d'oeuvre, et qu'ils répondent en revanche à un besoin permanent des établissements. Autant d'arguments qui rendraient le recours à l'externalisation hors-la-loi.
"C'est un problème systémique. Les acteurs du monde culturel, dont ministère de la culture lui-même s'accommodent de pratiques qui ne respectent pas le droit. Ces contrats passés avec ces entreprises ne peuvent en rien être qualifiés de prestation de service puisque la seule chose qui est prêtée ce sont les salariés», estiment les trois avocats, Thibault Laforcade, Juliette Bourgeois et Lucie Marius qui portent ce dossier depuis plus d’un an. «Ces entreprises se nourrissent donc de prêts de main-d’œuvre, dans des conditions de grande précarité pour les salariés concernés, uniquement pour permettre à leurs clients de contourner les règles de rigueur budgétaire. Et au final ce sont ces salariés qui payent dans leur quotidien les conséquences de ce système illégal.»
Au Muséum national d’Histoire naturelle on nous a fait savoir qu’ils «découvraient cette plainte dont ils n’avaient pas connaissance et qu’[ils] ne souhaitaient pas se prononcer avant les conclusions du juge». Avant d’ajouter à raison : «Cette plainte s’inscrit dans une démarche globale de la part de ce syndicat qui concerne plusieurs institutions culturelles.» A Radio France, aussi, la direction «attend de connaître le contenu de la plainte avant de se prononcer».
Deux nouveaux établissements mais le même malaise
L’hiver dernier, des agents affectés au Muséum national d’histoire naturelle (qui regroupe entre autres le Jardin des plantes, la Grande galerie de l’évolution et le parc zoologique de Paris) et à Radio France (7 chaînes, 44 radios locales et 4 formations musicales) ont partagé, lors d’une réunion secrète organisée à Paris avec leurs homologues venus d’autres institutions culturelles, leurs expériences au travail de plus en plus dégradées. Jeunes (ils ont entre 20 et 30 ans), souvent surdiplômés, ils ont recoupé les informations et compris qu’ils partageaient tous la même précarité et un même sentiment d’injustice.
Premiers de cordée face à des visiteurs toujours plus nombreux et clientélistes, ils souffrent d'être "pris en étau", comme témoigne l'un d'entre eux, entre deux directions, celle de leur employeur et celle de l'établissement où ils sont postés, qui ni l'une ni l'autre ne leur accorde beaucoup de considération. "Cest dur psychologiquement" assure cet agent. Et parfois, c'est dur aussi physiquement, comme en témoignaient l'an dernier les agents du Louvre en charge toute la journée, debout, du flux continu de visiteurs - jusqu’à 30 000 visiteurs jour.
Ou comme en témoignent aujourd’hui les agents chargés de l’accueil au parc zoologique de Paris, l’un des établissements du Muséum national d’histoire naturelle. Depuis la cyberattaque qui a mis KO cet été les standards et les caisses du Muséum dont celle du Zoo, les agents Musea sont postés à l’extérieur, parfois en plein soleil, pour renseigner des visiteurs parfois eux-mêmes très échaudés par le manque d’organisation. «En guise de soutien et alors que nous assumons des missions qui vont au-delà de notre fiche de poste, on nous fait remarquer que tel ou tel agent n’a pas assez souri...» commente, amer, un employé qui préfère garder l’anonymat.
«Agents d’accueil polyvalents», les salariés Musea affectés au MNHN ont déjà à charge, en bons couteaux suisses, d’«orienter, informer et assister le visiteur tout au long de sa visite, gérer l’accueil des groupes et les files d’attente [on comptait 3,2 millions de visiteurs sur l’ensemble des sites du Muséum en 2024, ndlr], mais aussi de promouvoir l’offre culturelle et de médiation, de gérer le vestiaire, de vendre et promouvoir les différentes formules de billetterie ou encore de contrôler les encaissements».
Celles de Radio France (ce ne sont que des femmes) «aident à l’accueil des invités et du public en journée. Leur poste est fixe au sein du hall principal», tandis que leurs consœurs sollicitées plus ponctuellement lors des concerts ou des événements publics organisés dans l’auditorium de la Maison de la radio sont «postées aux vestiaires ou mobiles pour escorter et vérifier les différents publics».
Des agents interchangeables
"Ça fait dix ans que ça dure !" s'est félicité il y a quelques mois Alain Chalon, le PDG de Marianne International, pour saluer le partenariat de longue date de son entreprise avec Radio France. "Cela revient à faire la publicité d'une illégalité" estiment de leur côté les plaignants qui estiment qu'à Radio France comme au Muséu, les agents externalisés répondent en fait à un «besoin permanent et constant» des établissements. Pourquoi alors ne pas internaliser ces postes ? «Il ne fait aucun doute que le service accueil et billetterie est un besoin permanent pour un musée et ne nécessite en aucun cas un savoir-faire particulier qui justifierait la mise en œuvre d’une sous-traitance», peut-on lire dans l’argumentaire de la plainte déposée contre le MNHN.
Autre point litigieux : d’après eux, rien ne permet au sein de ces établissements de distinguer un salarié de l’établissement d’un agent prêté. A Radio France, «cette absence de distinction se retrouve notamment dans les plannings hebdomadaires, dans lesquels les hôtesses sont mélangées». Seul «l’encadrement des jurés, une fois par an, pour le prix livre Inter» est strictement attribué aux hôtesses d’accueil de Radio France.
Pour les avocats des salariés engagés dans cette nouvelle procédure judiciaire, il y a là soupçon de «prêt illicite de main-d’œuvre» puisqu’il n’y aurait pas de «transmission d’un savoir-faire ou la mise en œuvre d’une technicité» justifiant ce recours à des compétences extérieures.
L’inspection du travail prend très au sérieux le sujet
Selon nos informations, l’enquête de l’Office central de lutte contre le travail illégal a démarré au printemps, avec une première audition des agents Musea assignés au Louvre, parmi les plus précaires et les plus vulnérables. Les mêmes d’ailleurs qui, le 16 juin, bloquèrent l’accès au musée pour dénoncer «le surtourisme et la dégradation de leurs conditions de travail». Libération a eu accès à deux requêtes déposées devant le Conseil des prud’hommes de Paris en juillet à l’encontre de la société Musea par deux salariées qui ont travaillé à quelques mois d’intervalle dans des conditions de travail mettant selon elles en jeu leur santé et leur sécurité (absence d’équipements adaptés, management délétère de la cheffe de site, absence de suivi médical, situation de sous-effectifs...). L’une et l’autre ont été congédiées après avoir participé à un mouvement de grève (la première en septembre 2024 et la seconde en novembre).
Cet été, ce sont les agents de la Bourse de Commerce et du Palais de la Porte Dorée qui ont commencé à être auditionnés. Thibaud Renzi, l’un des lanceurs d’alerte qui s’était engagé corps et âme dans cette lutte de David contre Goliath l’an passé, a été entendu trois heures durant.
Les choses ont-elles évolué pour lui et ses confrères depuis le premier dépôt de plainte levant en octobre 2024 le silence sur cette pratique abusive qui a envahi les musées et les établissements recevant du public en général ? «L’inspection du travail semble prendre l’affaire très au sérieux», commente Thibaud Renzi, «mais il y a comme une forme d’inconscience chez les prestataires qui font l’autruche. On a assisté aussi, étonnamment, à quelques transferts, comme pour les joueurs de foot. Certains prestataires ont été vendus aux institutions. Une de mes anciennes collègues au Palais de la Porte Dorée par exemple, a été internalisée. Maintenant elle fait peu ou prou la même chose mais depuis l’intérieur et avec mille avantages en plus.»
Inaptitude du salarié handicapé : l’employeur est tenu d’une obligation de reclassement renforcée, sous peine d’annulation du licenciement pour discrimination
Dans une décision suivie d’un avis du 15 mai 2024, la Cour de cassation est venue transposer précisément le régime de la charge de la preuve de la discrimination à la procédure de recherche de reclassement du travailleur handicapé déclaré inapte.
La Haute Cour avait auparavant consacré, par une décision du 3 juin 2020, le caractère discriminatoire et la nullité du licenciement pour inaptitude du salarié handicapé, faute pour l’employeur d’avoir respecté son obligation de reclassement renforcée.
Pour rappel, l’inclusion des salariés en situation de handicap dans l’emploi est une priorité nationale.
Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, la recherche de reclassement à la charge de l’employeur découle de l’application combinée des articles L.1226-10 et L.5213-16 du code du travail.
L’employeur doit ainsi prendre des mesures appropriées afin de permettre audits travailleurs de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation adaptée à leur besoin leur soit dispensée.
Dans son avis du 15 mai 2024, la Cour de Cassation livre une méthodologie d’appréciation de la discrimination dans le cadre du reclassement d’un salarié handicapé.
Il est rappelé que l’article L.1134-1 du Code du travail prévoit la mise en place d’un aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination, le salarié devant apporter des indices laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et l’employeur devant prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En présence d’un salarié handicapé, le juge du fond devra examiner les éléments apportés par le salarié tels que le refus, même implicite de l’employeur, de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures.
En second lieu, le juge devra rechercher si l’employeur démontre l’existence de raisons objectives étrangères à toute discrimination justifiant ce refus.
Dans un cas d’espèce, le Juge départiteur du Conseil de Prud’hommes de Longjumeau a appliqué ce raisonnement et annulé le licenciement pour inaptitude d’un salarié handicapé.
Le salarié en question avait sollicité de son propre chef l’organisme CAP EMPLOI et effectué plusieurs démarches afin de se maintenir dans l’emploi, tandis que l’employeur ne démontrait pas avoir satisfait à son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement.
Le Conseil de prud’hommes a ainsi considéré que : « Monsieur X justifie qu'il été très diligent afin de permettre son reclassement au sein de l'entreprise, que l'employeur a refusé de mettre en place un mi-temps thérapeutique et a ainsi refusé de respecter les préconisations du médecin du travail, qu'il ne lui a proposé aucun poste alors qu'il aurait pu occuper le poste d'aide plombier (…)
L'employeur ne justifie pas avoir pris des mesures appropriées pour permettre à Monsieur X de conserver son emploi conformément aux dispositions de l'article L.5213-6 du code du travail, étant rappelé que seul Monsieur X justifie avoir procédé à toutes les diligences nécessaires pour tenter de conserver son emploi.
Il résulte de ce qui précède que la société Y ne justifie pas ses décisions par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Dès lors, la discrimination est établie.
En conséquence, il convient de dire et juger que le licenciement de Monsieur X est nul. »
Le juge départiteur a ainsi ordonné la réintégration du salarié dans l’entreprise, à charge pour l’employeur de le convoquer de nouveau devant le médecin du travail.
Il y a lieu de préciser qu’en cas de réintégration du salarié suite à l’annulation de son licenciement discriminatoire fondé sur sa qualité de travailleur handicapé, ce dernier doit percevoir une indemnité correspondant à l’ensemble des salaires échus depuis le licenciement jusqu’à sa réintégration effective, sans déduction des revenus de remplacement qu’il a pu percevoir.
Alice, sourde muette, traînée sur le trottoir par des policiers : ce que révèlent les vidéos du commissariat
Sept ans après les faits, elle est enfin devant le tribunal judiciaire de Paris pour faire entendre sa voix, après un classement sans suite de l’affaire par le parquet à la suite d’une enquête de l’IGPN, la police des polices, contestée par la Défenseure des droits.
Sa mère, emportée par un cancer en 2020, c’est cette femme blonde, immortalisée sur les réseaux sociaux par cette vidéo amateur du 27 juillet 2017. On la voyait traînée sur le trottoir par des policiers rue de Vaugirard à Paris (XVe), abandonnée quelques mètres plus loin, près de conteneurs poubelles. Malgré le classement sans suite, Yafa C., son frère et ses deux sœurs ont assigné en justice une policière de ce commissariat, pour violences aggravées et accusations mensongères. Le tribunal a choisi de visionner les vidéos du commissariat, jetant une lumière crue sur l’accueil réservé au commissariat.
Ce fonctionnaire à l’accueil qui fait « des doigts d’honneur »
Ce jeudi d’été, la famille est avisée que le petit frère de 17 ans est en garde à vue pour recel de vol de scooter. « On savait qu’il n’y était pour rien, le scooter en question, c’est nous, les trois sœurs, qui lui avions acheté sur Leboncoin, retrace Yafa. On s’est fait avoir. » Mère et fille se rendent illico au commissariat de leur arrondissement (XVe). Depuis toujours, Yafa, troisième de la fratrie, assiste sa mère, sourde profonde de naissance, la langue des signes étant sa langue maternelle.
Le fils n’est pas en garde à vue dans ce commissariat, mais aucun policier ne leur dira. Sur les vidéos, pas de son, juste l’image. Alice M. trépigne, fait les cent pas dans le hall, des grands gestes avec les bras, tape sur le comptoir avec le plat de la main. Les policiers font des gestes de refus, d’autres usagers défilent. « Elle dit : il n’a pas volé, il n’a pas mangé », traduit Yafa pour le tribunal.
Paris (XVe), 27 juillet 2017. Alice M. au commissariat. Un fonctionnaire derrière le comptoir fait des doigts d’honneur. DR
Son avocate, Me Lucie Marius, réclame des ralentis, pour distinguer les gestes, à commencer par ce fonctionnaire à l’accueil qui fait « des doigts d’honneur », les mains sous le comptoir, un détail que l’IGPN n’avait pas relevé.
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Il s’écoule environ une demi-heure avant que la mère soit exfiltrée manu militari. Huit ou neuf policiers sont autour d’elle. Quand soudain, elle est échevelée, ça bouge vite, elle se retrouve au sol puis dehors, s’affale, se plaint du dos. Son sac est jeté à l’extérieur. Le président rembobine. Une policière, bras levé, lui a tiré le chignon et l’a visée d’un coup de pied. Dans la salle d’audience, le public est stupéfait.
« L’accueil ne communique pas, même si c’est la mère »
« Qu’est-ce qui arrive ? », demande le président à cette policière. « Il est pratiquement 20 heures, l’accueil ferme, c’est l’heure à laquelle je dois savoir combien de personnes sont à l’accueil. Le chef de poste, c’est moi, répond la policière de 41 ans, brune, silhouette sportive, d’un ton qui traduit son agacement. Je demande ce qu’on a, et on me dit que cette dame, qui gesticule, réclame la sortie de son fils, mais il n’est pas chez nous, et on ne communique pas, ça peut être pour un vol ou du terrorisme… L’accueil communique pas, même si c’est la mère. »
Paris (XVe), 27 juillet 2017. Alice M. au sol, à la sortie du commissariat. DR
« Et donc ? » poursuit le président. « Il va falloir sortir. Elle se débat, j’attrape le chignon. » Ce n’est pas un geste enseigné, convient-elle. « Un commissariat c’est pas un moulin. On ne réclame pas à cor et à cri. »
Le coup de pied dans le dos ? « Je l’ai pas touchée. Oui je suis excédée mais de là à avoir un contact sur la colonne vertébrale… ça se verrait. » La gifle sur Yafa à l’extérieur, une résidente de l’hôtel d’en face en avait parlé ? « C’est pas une gifle, je repousse son bras vers le visage. » Les insultes de « cas soc’ » (cas social) rapportées ? « Ce n’est pas professionnel mais ce n’est pas moi qui l’ai dit », assure encore la brigadière.
39 heures de garde à vue à sa sortie de l’hôpital
Tirée sur le trottoir par plusieurs fonctionnaires, la mère de famille est restée une vingtaine de minutes au sol, avant d’être conduite à l’hôpital. Alice est ensuite ramenée dans ce même commissariat, et placée en garde à vue, accusée d’avoir frappé la policière à « coups de pied ». Rien de tel ne se voit à l’image.
La quinquagénaire s’est urinée dessus pendant sa garde à vue. « Je ressors honteuse de cette histoire, relatera-t-elle après 39 heures de garde à vue, des hématomes sous les bras. J’ai 53 ans et j’ai très très honte. Je ne me suis pas sentie respectée (…). Maintenant, quand je vois un policier, en vélo ou en voiture, je me précipite pour fermer les volets car je panique. »
VidéoParis : Une mère de famille sourde et muette porte plainte contre des policiers, sa fille témoigne
À la barre, la policière s’adresse pour la première fois à Yafa : « Je suis profondément désolée pour le décès de votre maman, mais il ne faut pas tout me mettre sur le dos. » Elle a quitté contre son gré le commissariat du XVe, où un poste à l’investigation l’attendait, mais travaille toujours dans la police. « Si c’était à refaire, ce jour-là, je ne me lève pas de ma chaise », dit-elle, amère.
Pour son avocate, elle fait office de bouc émissaire. « Il fallait trouver un policier à se faire pour crier vengeance. Quand la police, qui a le monopole de la violence légitime, vous intime l’ordre de sortir, vous vous soumettez. Même si vous trouvez que ce n’est pas juste. » Me Pascaline Mélinon dénonce une assignation « abusive », un « combat d’orgueil », où « le handicap a bon dos ».
« Fautes disciplinaires », « manque de loyauté »
En 2022, la Défenseure des droits avait recommandé des sanctions disciplinaires et rappels déontologiques pour plusieurs fonctionnaires, jugeant l’emploi « de la force inadapté et disproportionné », « portant atteinte à la dignité ».
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Le rapport de 26 pages estime aussi que l’enquêteur de l’IGPN a « commis un manquement au devoir de loyauté dans la mesure où les actes rédigés n’ont pas relaté les faits avec fidélité et précision, privant les réclamantes d’une enquête effective ». La défenseure regrette qu’aucune enquête administrative n’ait été diligentée. Sollicitée, la préfecture de police ne nous a pas répondu.
Le 27 janvier, le tribunal a relaxé la brigadière. « Nous sommes atterrés par la complaisance du système judiciaire à l’égard de cette policière, dénonce Me Marius. Le sentiment d’impunité des forces de l’ordre est malheureusement nourri par de telles décisions. » Un appel, sur les intérêts civils uniquement, est possible dans un délai de dix jours.
Carole Sterlé
☎ 06 70 58 54 84
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