Inaptitude du salarié handicapé : l’employeur est tenu d’une obligation de reclassement renforcée, sous peine d’annulation du licenciement pour discrimination

Dans une décision suivie d’un avis du 15 mai 2024, la Cour de cassation est venue transposer précisément le régime de la charge de la preuve de la discrimination à la procédure de recherche de reclassement du travailleur handicapé déclaré inapte.

La Haute Cour avait auparavant consacré, par une décision du 3 juin 2020, le caractère discriminatoire et la nullité du licenciement pour inaptitude du salarié handicapé, faute pour l’employeur d’avoir respecté son obligation de reclassement renforcée.

Pour rappel, l’inclusion des salariés en situation de handicap dans l’emploi est une priorité nationale.

Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, la recherche de reclassement à la charge de l’employeur découle de l’application combinée des articles L.1226-10 et L.5213-16 du code du travail.

L’employeur doit ainsi prendre des mesures appropriées afin de permettre audits travailleurs de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation adaptée à leur besoin leur soit dispensée.

Dans son avis du 15 mai 2024, la Cour de Cassation livre une méthodologie d’appréciation de la discrimination dans le cadre du reclassement d’un salarié handicapé.

Il est rappelé que l’article L.1134-1 du Code du travail prévoit la mise en place d’un aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination, le salarié devant apporter des indices laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et l’employeur devant prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En présence d’un salarié handicapé, le juge du fond devra examiner les éléments apportés par le salarié tels que le refus, même implicite de l’employeur, de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures.

En second lieu, le juge devra rechercher si l’employeur démontre l’existence de raisons objectives étrangères à toute discrimination justifiant ce refus.

Dans un cas d’espèce, le Juge départiteur du Conseil de Prud’hommes de Longjumeau a appliqué ce raisonnement et annulé le licenciement pour inaptitude d’un salarié handicapé.

Le salarié en question avait sollicité de son propre chef l’organisme CAP EMPLOI et effectué plusieurs démarches afin de se maintenir dans l’emploi, tandis que l’employeur ne démontrait pas avoir satisfait à son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Le Conseil de prud’hommes a ainsi considéré que : « Monsieur X justifie qu'il été très diligent afin de permettre son reclassement au sein de l'entreprise, que l'employeur a refusé de mettre en place un mi-temps thérapeutique et a ainsi refusé de respecter les préconisations du médecin du travail, qu'il ne lui a proposé aucun poste alors qu'il aurait pu occuper le poste d'aide plombier (…)

L'employeur ne justifie pas avoir pris des mesures appropriées pour permettre à Monsieur X de conserver son emploi conformément aux dispositions de l'article L.5213-6 du code du travail, étant rappelé que seul Monsieur X justifie avoir procédé à toutes les diligences nécessaires pour tenter de conserver son emploi.

Il résulte de ce qui précède que la société Y ne justifie pas ses décisions par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Dès lors, la discrimination est établie.

En conséquence, il convient de dire et juger que le licenciement de Monsieur X est nul. »

Le juge départiteur a ainsi ordonné la réintégration du salarié dans l’entreprise, à charge pour l’employeur de le convoquer de nouveau devant le médecin du travail.

Il y a lieu de préciser qu’en cas de réintégration du salarié suite à l’annulation de son licenciement discriminatoire fondé sur sa qualité de travailleur handicapé, ce dernier doit percevoir une indemnité correspondant à l’ensemble des salaires échus depuis le licenciement jusqu’à sa réintégration effective, sans déduction des revenus de remplacement qu’il a pu percevoir.


Alice, sourde muette, traînée sur le trottoir par des policiers : ce que révèlent les vidéos du commissariat

Sept ans après les faits, elle est enfin devant le tribunal judiciaire de Paris pour faire entendre sa voix, après un classement sans suite de l’affaire par le parquet à la suite d’une enquête de l’IGPN, la police des polices, contestée par la Défenseure des droits.

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Sa mère, emportée par un cancer en 2020, c’est cette femme blonde, immortalisée sur les réseaux sociaux par cette vidéo amateur du 27 juillet 2017. On la voyait traînée sur le trottoir par des policiers rue de Vaugirard à Paris (XVe), abandonnée quelques mètres plus loin, près de conteneurs poubelles. Malgré le classement sans suite, Yafa C., son frère et ses deux sœurs ont assigné en justice une policière de ce commissariat, pour violences aggravées et accusations mensongères. Le tribunal a choisi de visionner les vidéos du commissariat, jetant une lumière crue sur l’accueil réservé au commissariat.

Ce fonctionnaire à l’accueil qui fait « des doigts d’honneur »

Ce jeudi d’été, la famille est avisée que le petit frère de 17 ans est en garde à vue pour recel de vol de scooter. « On savait qu’il n’y était pour rien, le scooter en question, c’est nous, les trois sœurs, qui lui avions acheté sur Leboncoin, retrace Yafa. On s’est fait avoir. » Mère et fille se rendent illico au commissariat de leur arrondissement (XVe). Depuis toujours, Yafa, troisième de la fratrie, assiste sa mère, sourde profonde de naissance, la langue des signes étant sa langue maternelle.

Le fils n’est pas en garde à vue dans ce commissariat, mais aucun policier ne leur dira. Sur les vidéos, pas de son, juste l’image. Alice M. trépigne, fait les cent pas dans le hall, des grands gestes avec les bras, tape sur le comptoir avec le plat de la main. Les policiers font des gestes de refus, d’autres usagers défilent. « Elle dit : il n’a pas volé, il n’a pas mangé », traduit Yafa pour le tribunal.

Paris (XVe), 27 juillet 2017. Alice M. au commissariat. Un fonctionnaire derrière le comptoir fait des doigts d’honneur. DR

Son avocate, Me Lucie Marius, réclame des ralentis, pour distinguer les gestes, à commencer par ce fonctionnaire à l’accueil qui fait « des doigts d’honneur », les mains sous le comptoir, un détail que l’IGPN n’avait pas relevé.

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Il s’écoule environ une demi-heure avant que la mère soit exfiltrée manu militari. Huit ou neuf policiers sont autour d’elle. Quand soudain, elle est échevelée, ça bouge vite, elle se retrouve au sol puis dehors, s’affale, se plaint du dos. Son sac est jeté à l’extérieur. Le président rembobine. Une policière, bras levé, lui a tiré le chignon et l’a visée d’un coup de pied. Dans la salle d’audience, le public est stupéfait.

« L’accueil ne communique pas, même si c’est la mère »

« Qu’est-ce qui arrive ? », demande le président à cette policière. « Il est pratiquement 20 heures, l’accueil ferme, c’est l’heure à laquelle je dois savoir combien de personnes sont à l’accueil. Le chef de poste, c’est moi, répond la policière de 41 ans, brune, silhouette sportive, d’un ton qui traduit son agacement. Je demande ce qu’on a, et on me dit que cette dame, qui gesticule, réclame la sortie de son fils, mais il n’est pas chez nous, et on ne communique pas, ça peut être pour un vol ou du terrorisme… L’accueil communique pas, même si c’est la mère. »

Paris (XVe), 27 juillet 2017. Alice M. au sol, à la sortie du commissariat. DR

« Et donc ? » poursuit le président. « Il va falloir sortir. Elle se débat, j’attrape le chignon. » Ce n’est pas un geste enseigné, convient-elle. « Un commissariat c’est pas un moulin. On ne réclame pas à cor et à cri. »

Le coup de pied dans le dos ? « Je l’ai pas touchée. Oui je suis excédée mais de là à avoir un contact sur la colonne vertébrale… ça se verrait. » La gifle sur Yafa à l’extérieur, une résidente de l’hôtel d’en face en avait parlé ? « C’est pas une gifle, je repousse son bras vers le visage. » Les insultes de « cas soc’ » (cas social) rapportées ? « Ce n’est pas professionnel mais ce n’est pas moi qui l’ai dit », assure encore la brigadière.

39 heures de garde à vue à sa sortie de l’hôpital

Tirée sur le trottoir par plusieurs fonctionnaires, la mère de famille est restée une vingtaine de minutes au sol, avant d’être conduite à l’hôpital. Alice est ensuite ramenée dans ce même commissariat, et placée en garde à vue, accusée d’avoir frappé la policière à « coups de pied ». Rien de tel ne se voit à l’image.

La quinquagénaire s’est urinée dessus pendant sa garde à vue. « Je ressors honteuse de cette histoire, relatera-t-elle après 39 heures de garde à vue, des hématomes sous les bras. J’ai 53 ans et j’ai très très honte. Je ne me suis pas sentie respectée (…). Maintenant, quand je vois un policier, en vélo ou en voiture, je me précipite pour fermer les volets car je panique. »

VidéoParis : Une mère de famille sourde et muette porte plainte contre des policiers, sa fille témoigne

À la barre, la policière s’adresse pour la première fois à Yafa : « Je suis profondément désolée pour le décès de votre maman, mais il ne faut pas tout me mettre sur le dos. » Elle a quitté contre son gré le commissariat du XVe, où un poste à l’investigation l’attendait, mais travaille toujours dans la police. « Si c’était à refaire, ce jour-là, je ne me lève pas de ma chaise », dit-elle, amère.

Pour son avocate, elle fait office de bouc émissaire. « Il fallait trouver un policier à se faire pour crier vengeance. Quand la police, qui a le monopole de la violence légitime, vous intime l’ordre de sortir, vous vous soumettez. Même si vous trouvez que ce n’est pas juste. » Me Pascaline Mélinon dénonce une assignation « abusive », un « combat d’orgueil », où « le handicap a bon dos ».

« Fautes disciplinaires », « manque de loyauté »

En 2022, la Défenseure des droits avait recommandé des sanctions disciplinaires et rappels déontologiques pour plusieurs fonctionnaires, jugeant l’emploi « de la force inadapté et disproportionné », « portant atteinte à la dignité ».

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Le rapport de 26 pages estime aussi que l’enquêteur de l’IGPN a « commis un manquement au devoir de loyauté dans la mesure où les actes rédigés n’ont pas relaté les faits avec fidélité et précision, privant les réclamantes d’une enquête effective ». La défenseure regrette qu’aucune enquête administrative n’ait été diligentée. Sollicitée, la préfecture de police ne nous a pas répondu.

Le 27 janvier, le tribunal a relaxé la brigadière. « Nous sommes atterrés par la complaisance du système judiciaire à l’égard de cette policière, dénonce Me Marius. Le sentiment d’impunité des forces de l’ordre est malheureusement nourri par de telles décisions. » Un appel, sur les intérêts civils uniquement, est possible dans un délai de dix jours.

Carole Sterlé

☎ 06 70 58 54 84
csterle@leparisien.fr